La pensée de l'ingénieur ignore l'expérience intime du temps, de l'espace et du risque vécue par l'usager. Le bureau d'études se pense comme une communauté investie d'une mission : produire un sosie d'homme sans défaut, placé dans un univers épuré de tout danger et de tout conflit, puisque mathématisé. Certes les pilotes ont réussi à plusieurs reprises à imposer une co-invention négociée, qui reconnaît leur expertise de praticien de la technique. Mais le concepteur tend à choisir "l'actant machinique" au détriment de l'autonomie et de la compétence de l'acteur-usager. Ce fil conducteur de l'innovation conduit à une société d'automates et de réseaux. Au seuil du XXIe siècle, une absence de communication culturelle s'affirme, source de conflits entre les concepteurs d'un tel univers digital et les acteurs du quotidien dépossédés ainsi de ce qui fait la valeur de leur vie. Le tout technique met en question la définition pluridimensionnelle de l'homme, avec son corps et sa vie symbolique, son intériorité de sujet et son lien social à une tradition vivante.